La bouffe

Pendant plusieurs années, j’étais dépendant de la bouffe. Je dirais même que j’étais accro. Ouf ! Eh oui. Mais bon, mais bon, je peux le dire, car maintenant, je n’en suis plus. C’est du passé. C’était dur d’en sortir, mais je l’ai fait, sans aide de psy, sans groupes de soutien, sans (ou presque) livres de développement personnel, tout seul, comme le fameux baron Münchhausen, qui s’est pris lui-même par les cheveux pour se sauver de la noyade dans un marécage. Et pendant que je le faisais, pendant tout ce temps, je cherchais à comprendre, c’était justement quoi qui m’a … Continue reading La bouffe

L’examen

Bonjour M. Vachuque, Ceci est un email pour vous rappeler que demain aura lieu, comme prévu, votre examen de langage universel (formation générale). Le test commencera à 9 h 30, l’inscription sera ouverte à partir de 8 h 55. Nous vous recommandons d’arriver ponctuellement au début de l’inscription pour éviter les délais. Le lieu du test reste le même : la filiale du Conseil galactique des langues et de l’expérience subjective immédiate, située au quatrième étage du Berolinahaus sur l’Alexanderplatz 1, Berlin. Ce bâtiment se trouve tout au centre de la fameuse place berlinoise, juste à quelques mètres de la … Continue reading L’examen

Commander Keen

J’ai un casque jaune avec deux rayures vertes au centre et une grande bosse d’un côté, un blaster rouge qui crache des bulles de plasma et les poches pleines de munition. Je saute sur mon pogo stick et j’avance sur le sol purpurin, couvert de drôles de moellons et bizarrement incliné, dans un endroit à l’atmosphère hostile d’une planète aride où j’ai crashé sur mon petit vaisseau spatial (que j’ai construit moi-même dans l’arrière-cour de ma maison, mais ça, c’est une autre histoire pour une autre fois). Maintenant, j’ai un problème assez urgent à résoudre. Ou, plutôt, deux problèmes, l’un … Continue reading Commander Keen

Прабабушка

Мою прабабушку Маню — вернее, одну из многочисленных сестер моей прабабушки, никогда не бывшую замужем и, кажется, не имевшую мужчин в своей жизни, — я помню исключительно по даче. Она была неотъемлемой частью моего дачного эскпириенса, если я могу себе позволить так выразиться, его обязательным элементом, настолько постоянным и естественным, как если бы самое лето как феномен было без нее физически невозможно. Ее бессменная синяя шерстяная кофта, плотные тканевые чулки и пучок седых волос на голове, закрепленный черной заколкой, были всегда одинаковыми, с точностью до легчайшего оттенка и тончайшего колебания кристаллической решетки. Неизменными были также сладости, которыми она меня баловала … Continue reading Прабабушка

Откроется

Однажды Макдоналдс на Пушкинской снова откроется. Это случится неизбежно — потому что таковы законы экономики, зайка. Таковы законы природы, таково расписание поездов на Киевском вокзале и таков узор царапин на мраморе в вестибюле станции метро, где ты стоишь у высоченного мутного окна с недостижимыми даже для самых усердных уборщиц частичками пыли из шестидесятых, ниточками сухой паутины из восьмидесятых и застрявшими во временных трещинах выцветшими медяками из одного дня в середине пятидесятых, где с морозной улицы залетела гурьба, засверкали чубы, запестрели платья, загремели басы и зазвенели альты, оглашая потепление во всех возможных регистрах этого слова. Макдоналдс откроется. Откроется Старбакс. Затекут слюнки … Continue reading Откроется

Шлюз

Поздний вечер одной из бесконечных недель февраля — стеклянный, морозный, кирпично-порожний, в бетонную клеточку и в грязно-снежную полоску, открытый на узенькую щелку, из которой вьется втихаря выдыхаемый сигаретный дым и в которую стремится неумолимая гигантская зимняя ночь — словно черная вода Енисея в шлюз на могучей плотине, возведенной безустанными отрядами моего собственного бессознательного, что денно и нощно ищет, не удосуживаясь поставить меня в известность, альтернативные источники энергии в давно исчерпавшей ресурсы сырого счастья и природной надежды стране. Вой поздней электрички за окном, просящейся домой, в тепло — зов длинного загадочного змеистого существа, покрытого желтыми пятнами окошек с фигурками клюющих носом … Continue reading Шлюз

Elle

Je tiens un flacon de parfum dans ma main. Il scintille dans la lumière ambrée du soir suintant à travers les rideaux immobiles dans l’accalmie parfaite de l’air, il tamise les rayons droits et poussiéreux, les filtrant avec ses parois et les émettant à l’autre côté, où ils touchent, radoucis et tempérés, la surface râpeuse du mur, y formant une tache ovale avec une petite écorchure qui correspond à la forme de mon doigt, posé sur le bouton-poussoir de vaporisateur. Je l’appuie. J’aspire. J’aspire, par morceaux, Paris, métro, la femme en manteau, son mari en chapeau, leur fils avec ses … Continue reading Elle

La lettre

Bonjour Monsieur Vaschuque, Je me présente : je m’appelle Marcel, je suis votre père. Eh oui, je sais, je sais ce que vous venez de vous dire. Je peux même imaginer l’expression de votre visage en ce moment-ci : les yeux roulés vers le ciel, les sourcils légèrement haussés, puis les paupières se baissent en se fermant pour un instant comme en un effort désespéré de retrouver le calme et la rationalité dans ce monde complètement déjanté ; vous regardez ailleurs, vous aspirez profondément, mais prudemment afin de ne pas révéler votre déception — tout comme un grand connaisseur d’art … Continue reading La lettre

La datcha

La datcha. Trois mois de l’année, la moitié de la vie ressentie, relativiste comme un rai de soleil de la première semaine de juin, citronnée comme le thé dans la grande tasse de mon grand-père à la fois aimé et effrayant à cause de sa taille, elle était toujours là — là où je l’attendais, là où je me précipitais après être descendu du train en provenance de Saint-Pétersbourg, là où la lumière faisait courir sur le sol piétiné d’une petite ruelle des drôles d’ocelles comme sur le cou de girafe, produites par les réflexions du soleil multiplié dans le … Continue reading La datcha

Le printemps

L’arrivée du printemps dans ma ville était toujours soudaine, inattendue et ubique — un peu comme un de ces évènements marquants dans la vie qu’on attend avec impatience et nervosité, pour lesquelles on essaie de se préparer en lisant d’innombrables articles sur le sujet et en embêtant ses amis qui avaient déjà fait l’expérience avec d’incessantes questions : « Ça fait comment ? C’est vraiment fort ? Est-ce douloureux ? Ça pique ? On s’en souvient après ? On est inconscient ou presque ? Et après, ça dure combien de temps ? ». Une de ces expériences transformatrices qu’on ne … Continue reading Le printemps