1945
C’étaient les couleurs
Le soldat qui courait
Entre les colonnes
Puis tombait
C’étaient les couleurs
Le sang qui coulait
De son cou cloué
Par les balles de la mitraillette
À la pierre de la colonnade
Irrémédiablement
C’étaient les couleurs
C’était tout en 4K
En plein réel
Dans le plus haute définition
Dans le détail le plus fin possible
La douleur la plus déchirante possible
Sur les visages les plus distordus possibles
Les garrots qu’on faisait
Les grimaces qu’on faisait
Les gestes qu’on lançait
L’artère qui ne ces-
sait pas de saigner
Quand on criait comme si en suivant un drôle de scénario
Putain merde stop arrêtez
En s’ad-
ressant
au sang
aux états
unis et disjoints
Aux eaux de la Spree
Au printemps encore jeune
Au ciel qui crachait entre les colonnes
Sa nonchalante bleuité tellement mal à propos
Au soleil qui vissait sur le crâne de la ville
Sa présence viscérale
La même pour Jules César
Et un soldat allemand
Aux arbres qui mêlaient l’air moelleux du mois de mai
Le midi en poussière les mains ensanglantées les lèvres tremblantes
Les pupilles dilatées les encoches sur les colonnes
Le rouge le jaune le blanc le noir le demi-noir le presque-pas-noir le c’était-si-beau-azur
L’orange le rouge l’orange le rouge l’orange la fenêtre donnant sur la plage
Les diamants les rideaux flottants les étoiles le bruit de cigales
Le Lundi saint les toitures des maisons qui se blottissent sur la colline sous le vent de la Manche
La courbure du dos la sérénité de la mer
Les silhouettes des navires figés sur l’horizon les plis de la robe de chambre
Le vert le noir le bleu l’orange beaucoup d’orange trop d’orange le jaune qui vient le tremper
C’étaient les couleurs les couleurs de toutes parts
Les couleurs qui coulaient
Les couleurs qui roulaient
Les couleurs qui parlaient
Et les regards les mettaient là où coulait le sang
Où frappaient les balles
Où se courbaient les lèvres
Où brillait la statuette des Oscars
On les laissait couler comme on fait toujours avec les couleurs
Parce qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire
Que d’aller les chercher sur les plages de Normandie et dans les eaux de la Spree