La réponse

On s’est rencontrés quelque part dans l’Internet — il est difficile à dire où exactement ; l’Internet est vaste, mais à ce moment-là, il était tout petit. Il a grandi avec nous tout en gardant en soi notre lieu de rencontre sans que nous puissions maintenant le déceler — un peu comme une petite cabane au Canada qui lentement devient le Canada entier à mesure qu’on scrolle le zoom en essayant d’occuper le reste d’une soirée d’hiver pas encore tuée avec une activité si vide qu’elle soudainement devient méditative ; un peu comme un dessin de M. C. Escher sur … Continue reading La réponse

La monotonie

Les vagues du temps qui me lancentVers la muraille lisse des joursQui m’éclaboussent quand j’avanceEt qui m’attrapent quand je chute Les eaux gluantes des nuits amèresOù bercent les algues du sommeilLes innombrables faibles chimèresNées d’amalgames de moi-même La balbutie des jours qui passentLe clapotement des heures qui coulentLe long des rues qui, elles, s’évasentDevant les yeux d’un somnambule La sérénade incessanteQue siffle en boucle le ciel moisiEn pourléchant les fenêtres luisantesAvec sa langue cramoisie Monotonie tu as mon âmeTu as mon cœur et mes poumonsTu fixes sur moi tes yeux macabresCataractés d’appartements Tu as mon suc et mon sangTu as … Continue reading La monotonie

La main nocturne

La main nocturne qui envideLes fenêtres jaunes sur le videLes murs grisâtres sur le rienLes âmes des autres sur la mienne Les édifices qui sommeillentQui s’enchevêtrent qui s’emmêlentDans le filet de troncs d’érablesDans les hiéroglyphes des rails Le jour prochain qui sort des vitresComme un bizarre embryonCouvrant la coque de la nuitDe minces fentes des avions Le noir des yeux le rose des peauxLes pas légers des réveillésLes rais qui tombent comme des copeauxDes portes-fenêtres entrebâillées Les dissonances les unissonsLe grand silence qui s’étendLa grille courbée des petites maisonsLa flaque bleue de l’océan La lame vermeille de la lumièreFait une … Continue reading La main nocturne

Le mouvement

Le jour pur et durSe mue en doux soirLaissant place à la nuitDans le vaste pourrissoirDu passé du présentDe l’impalpable futurOù l’âme vaguement pressentSes prochaines amertumesL’azur devient le noirLumière devient ténèbresL’homme joue son humble partEt l’homme resserre ses lèvres Continue reading Le mouvement

Le brouillard

Les réverbères coupent l’airLeurs rais s’occupent de l’hiverQui, grand et sombre, s’affaissaSur le monceau de raides façades Les rues se courbent autour des rouesLes murs attrapent les voix qui hurlentLes roues, eux, roulent, les voix, eux, raillentLe noir miroite entre les rails La ville saumure dans le brouillardSes formes mornes, ses toits rigidesSes citadins, ses âmes trouillardesN’osant sortir de leurs gîtes Les minces palmures de la lumièreRemuent doucement la nuit gluanteLes immuables réverbèresSortent de leurs stalles dans l’asphalte L’essaim de grandes tortues marinesPar la fêlure dans l’aquariumSous le couvert de la bruineSe file lentement dans l’océan Continue reading Le brouillard

Saint-Pétersbourg

Les yeux des ponts de PétersbourgLes pigeons mauves sur vos sourcilsLes larmes figées des sombres toursQu’émane la ville de ses lacis L’impénétrable coucher radieuxDerrière lequel s’étend le videContenant encore un peu de dieuGrouillant de l’injoignable vie Les couches du bleu les couches du vertLes touches du rouge pour les colonnesQui, comme en hésitant, s’insèrentDans les serrures versicolores Les taches du jaune pour les lumièresQui tendent leurs souples tentaculesDes lisses quais dans la rivièreFrôlant le jour qui recule Les cours parfaitement circulairesD’où lancent leurs vols saisonniersLes lignes de linge irrégulièresVers l’azur sillonné des nefs Les âmes des hommes les âmes des … Continue reading Saint-Pétersbourg

La pêche

Les murs catchés dans le filet des ombresQue jette sur eux le pêcheur du matinLes fenêtres qui tressaillent sur les flancs des immeublesComme les branchies d’un poisson haletantLe jour se lève, l’étoile s’arronditUne autre truite pantelante s’ajouteÀ un amas de pêche qui granditSur le pont du bateau glissant d’écailles des jours Continue reading La pêche

La lune comme une pilule

La lune comme une pilule d’aspirineQu’ont jetée de très loin dans la nuit tièdeLes mains d’un vieux monsieur malingre et fébrileCherchant pour ses complexes problèmes un simple remède La lune se dilue s’estompe à mesureQu’on la regarde depuis la TerreLa lune émane les bulles pétillantes du jourDonnant à la nuit un goût légèrement amer Le jour arrivera la fièvre sera vaincueLe songe d’un vieux monsieur se dissoudra dans l’airSur l’horizon il restera un peu d’écumeComme un dépôt laissé au fond d’un verre Continue reading La lune comme une pilule

Le vaisseau

Le vaisseau sanguin de la conscienceQui traverse le corps d’éternitéLes souvenirs les songes les expériencesLes paroles qu’on ne peut faire taire L’étendu du ciel qui tombe dans les prunellesLes couleurs qui l’une après l’autre s’insèrentDans les creux d’un moule qui meurt et qui renaîtS’allumant parfois d’une joie sincère De bizarres figures qui rampent et qui tortillentQui n’ont toutes qu’une seule bizarre affaireExister le plus longtemps possibleSans comprendre ce qu’est le contraire La mémoire qui coule dans les artèresDu vivant, du mort et du non néDont les gouttes éclaboussent la terreQuand le monde se fait une futile saignée Être vivant ne … Continue reading Le vaisseau

Les nuages

Les nuages qui sortent du boulangerJaunes, chauds, mous, graisseux et glissantsPour passer au-dessus des mâchoires des quartiersQui les rongeront, laissant tomber des miettes sur leurs façades Les nuages frais, brunis, disposés sur la nappe de l’azurComme des pâtés sur le comptoir dans la cuisineOù se mêlent en un incessant murmureLe clapotement d’eau, la friture et la balbutie Un jour d’été — je ne sais quel mois ni quelle annéeLa porte claque l’air chaud s’engouffre dans le salonLe vert des feuilles le blanc des cheveux le rouge des peaux tannéesSuintent à travers les fentes d’une spacieuse maison Les lames dans le … Continue reading Les nuages