La mort du jour dans la salle à manger
Qu’assiste la famille entière en souriant
Le jour qui a fait de son mieux pour être léger
Et qui est mort pour rien — ou presque rien
J’ai quatorze ans ; ma vie est faite de pure conscience
Les chemins rustiques sortent de mon corps comme mes propres membres
J’erre sur les rives émaciées et dans mon errance
Je précipite l’avènement du demain
Qui vit encore ; qui, comme chaque jour nouveau
Espère qu’il va durer infiniment
Et qui, en entrevoyant le sort de son aïeul
Commence à s’agripper avec ses pinces
À des arbustes verts ; aux pins qui deviennent noirs
À mesure que l’étoile épuise sa douce liqueur
Le jour s’accroche désespérément aux bords du soir
Et aux cimes des collines qui cerclent son cercueil
Le jour est abattu ; dans une salle spacieuse et douillette
Il gît impuissant sur la table au milieu d’un plantureux dîner
Les mains de ma grand-mère séparent savamment sa lourde tête
De son corps sec et ratatiné
Les lèvres s’étirent ; les dents écrasent les os
La salive imprègne de gros morceaux de chair
Les langues balayent les sons formant les mots
Qu’il faut — on se rappelle — il faut bien mâcher
Le jour est mort ; la nuit jette sur sa tombe
Les poignées de nuages terreux qu’elle a creusés ailleurs
Dans l’horizon bosselé dont les collines s’estompent
À mesure que s’achève le travail de fossoyeur
Les funérailles du jour d’un d’innombrables étés
Dans une maison aux rives d’une longue vallée
Le goût des crêpes à la confiture qui masque l’éternité
C’est bien pour ça qu’on ne mâche pas avant d’avaler