La reine et la mort
Je ne peux pas même joindre ces deux mots
La reine est morte
Et pourtant
Il y a quelque chose qui s’immisce là-dedans
S’insère entre les deux comme un étai
Les fait violemment repousser l’un l’autre
Quelque chose comme une fenêtre allumée
Dans un amoncellement d’immeubles anguleux
Quelque chose comme une fente du ciel
Dans un nuage lent rouge qui s’affaisse sur les piques
Des toits perçant les couches du bleu du pourpre et du céladon
Faisant couler le vermillon et l’ocre
La reine des cieux qui change les couleurs
De son royaume faisant tourner les éoliennes
Qui est si vaste qu’on peut aisément y mettre toute son enfance
Et si petit qu’il passe dans un sac à main
La reine est morte ?
Vous plaisantez, madame !
La reine est bien vivante, je l’ai vue
Jeter les rais droits et forts de la lumière dure
En direction des terres arides et des rues nues
La reine est morte seulement dans les nouvelles
Dans les articles de presse dans d’innombrables tables rondes
Qui veulent parler d’elle rendre hommage à elle
Mais qui n’attraperont jamais les ondes
Que produisent les petites gouttes sur la surface d’un lac
Quand les journées pluvieuses finalement arrivent
Dans le royaume ensoleillé et vide de vac-
ances où tu te caches vainement de l’hi-
ver, et les arbustes passent du vert au rouge
Les roses du blanc au cendreux
Les trains de longue distance découvrent ton refuge
Et les yeux ternes de septembre se profilent entre eux
La reine est une onde
Un battement du cœur
Une moire qui glisse par la fente
Entre le monde d’avant et le monde d’après
Dans le monde entre eux qui se répète en boucle
Comme des longs bips dans un combiné
Scindés d’espoir indélébile d’une réponse
La reine se coïncide avec le visage souriant de la grand-mère
Dans la conscience d’un gamin à mine morose
Qui fait un grand détour en essayant d’atermoyer le retour scolaire
Et prolonger la guerre de Deux-Roses
La reine est disparue, mais elle est toujours présente
Dans les cages d’escalier où règne le vacarme
Des pas hâtifs des voix retentissantes
Dans une figure mince qui se penche par la lucarne
Dans les cartes de rationnement
Dans les avions livrant de l’aide humanitaire
Dans les nuages lents
Dans les fenêtres glacées
Dans les commodités
Les paumes rugueuses
Les peaux poreuses
Les bourgeois
Les bourgeons
Le fil d’attente
Les effluves du printemps
Le mot « ici » le mot « ailleurs »
L’odeur d’essence, la vue du sang
L’immigration, l’intégration
L’ensemencement, l’arborescence
Les sons s’enchainent
Les phrases s’amorcent
L’amour s’achève
Les bras se tordent
Les embrassades se soudent
Et les baisers s’insèrent
Les hommes se servent des sourires sincères
En sertissant ainsi les braises des cigarettes
Le long silence boisé semé des cliquetis d’ustensiles est rompu par l’émission spéciale
Le signal horaire s’élève au-dessus du seuil de bruit
La fin d’époque est annoncée
La reine n’est pas morte
La reine s’est volatilisée