Berlin 1945

1945C’étaient les couleursLe soldat qui couraitEntre les colonnesPuis tombaitC’étaient les couleursLe sang qui coulaitDe son cou clouéPar les balles de la mitrailletteÀ la pierre de la colonnadeIrrémédiablementC’étaient les couleursC’était tout en 4KEn plein réelDans le plus haute définitionDans le détail le plus fin possibleLa douleur la plus déchirante possibleSur les visages les plus distordus possiblesLes garrots qu’on faisaitLes grimaces qu’on faisaitLes gestes qu’on lançaitL’artère qui ne ces-sait pas de saignerQuand on criait comme si en suivant un drôle de scénarioPutain merde stop arrêtezEn s’ad-ressantau sangaux étatsunis et disjointsAux eaux de la SpreeAu printemps encore jeuneAu ciel qui crachait entre les … Continue reading Berlin 1945

Combien de tes baisers (Catulle)

Tu me demandes combien de tes baisersMe seraient assez ou même peut-être tropSi l’on pouvait compter les grains de sable libyenEntre le temple de Jupiter brûlantEt le tombeau ou dort le roi BattosDe Cyrène abondante en silphiumOu les étoiles qui quand la nuit se taitSe montrent aux âmes furtives des amoureuxCe serait le nombre, Lesbia, qui me satisferaitQui me serait trop peut-être follement tropInconnaissable ni pour les simples curieuxNi pour les mauvaises langues qui nous envient Version originale Quaeris, quot mihi basiationestuae, Lesbia sint satis superque.Quam magnus numerus Lybissae harenaelasarpiceferis iacet Cyrenisoraclum Iovis inter aestuosiet Battis veteris sacrum sepulcrum.Aut quam … Continue reading Combien de tes baisers (Catulle)

Alors on vit Lesbia (Catulle)

Alors on vit Lesbia, alors on s’aimeEt les paroles des vieillards rigidesOn n’en donne qu’un seul as pour les tousLes jours s’enfilent et reviennent sans cesseNous une fois se coupe la lumièreIl faut dormir une nuit pérenneEmbrasse-moi, embrasse-moi mille foisMille fois encore, et une centaine de plusUn autre millier, une seconde centaineEmbrasse-moi puis cessons de compterPour empêcher le méchant plein d’envieDe savoir le tout de nos baisers Version originale Vivamus mea Lesbia, atque amemus,rumoresque senum severiourumomnes unius aestimemus assis!Soles occidere et redire possunt:nobis cum semel occidit brevis lux,nox es perpetua una dormienda.Da mi basia mille, deinde centum,dein mille altera, dein … Continue reading Alors on vit Lesbia (Catulle)

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Un réverbère a enfilé les flaquesEn percutant leurs surfaces sereinesQui se situent sur les écailles d’une rueOù ruissellent les feux de circulationEt les passants s’allongent et se découpentEn s’insérant dans les morceaux du cielQui sépare les façades des façadesPour qu’on puisse avoir des fenêtresEn face et des regards curieuxDes passants blancs et des passants obscursSelon le temps et le moment de jourEt d’autres choses qu’on omet comme injustesLa rue ruisselle et les couleurs coulentLes fabriques fument et les algues s’agitentLa mémoire se forme les pas s’accélèrentSur le trottoir ressemblant à un corps de l’hydreQue le tramway éventre et les voitures … Continue reading ***

Un matin particulier

Le petit-matin dans l’appartement de mes grands-parents à Saint-Pétersbourg, très tôt — 5 heures, peut-être même 4 — le mois de juin, le soleil, grand, flou, s’est déjà levé, il déversait ses rais dans l’appartement à travers la fenêtre de l’atelier de mon grand-père, où ils se cassaient et se fondaient immédiatement en se transformant en des moires blanches sur le parquet, qui de là se répandaient par l’écluse des portes ouvertes de l’atelier et de la chambre de la grande-mère où je dormais, séparées par le court isthme du corridor, tous ensemble s’arrangeant en une forme d’enfilade ininterrompue. Les … Continue reading Un matin particulier

Quelle est la différence

Quelle est la différence entre une étoile fixe lointaine
Mise un peu par hasard entre deux pins noirs saillant au bord d’un champEt la lumière d’une bicyclette qui se déplace coupant un petit côneDu corps noircissant de la colline collée en arrière-plan Quelle est la différence entre la ligne d’horizon tout rougeEt la courbure d’un doigt qui bouche la Lune bosseléeQuelle est la différence entre un homme aux portes de RomeEt une pierre roulée qui jette son ombre sur les autres pierres La différence entre le bruit que fait la roue quand on ne pédale pasEt celui de la tempête de … Continue reading Quelle est la différence

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Une traînée d’avion qui sort d’un nuageComme une échine d’une poule décapitéeLentement se courbe et ensuite se détacheQuand le vent rend évidente sa fausseté La poule qui a créé le soir en pondant le soleilDans le coin rouge et mauve entre les façadesEt dont le corps lardé sur lapis-lazuliS’étire infiniment vers l’horizon Les silhouettes des oiseaux les vrais si nettes et silencieusesTraversent le volume de transparenceEn y laissant les traces comme les balles dans l’eauEn se coinçant dans la matière qui pense Les lèvres entrouvertes de celle qui contempleLa mer moirée moutonnée à l’enversForment un « O » comme dans … Continue reading ***

Alien

Un arbre mouillé dans les coordonnées mouilléesCerné des gouttes qu’un réverbère a mises sur ses rameauxUn arbre noir glissant comme un alienEt moi qui le regarde comme Ripley Le bleu le noir je prends un peu de deuxComme si j’avais le droit de séparerLe reste du ciel de la route tailladéePar les ombres des fûts mais je le fais pareil Un nombre gênant des morts en PalestineReste dans l’air imbu de mi-janvierQuand je passe devant un taxi solitaireOù scintillent le chauffeur et son ennui La transparence l’aérosol qui forme des cônesUne longue taffe la friture de radioCe sont eux les … Continue reading Alien

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Le rouge inciséLe vert intrusLe turquoise est sous attaqueLe marron se fait marauderPar l’émeraude et le carminEt les couleurs sans noms précisQui se dispersent comme sur les rivesD’un fleuve qui va vers l’horizonEn devenant plus tard un pontPuis les riverainsPuis leurs regardsPuis les ramures les remuementsDes herbes un sourire une mainLe ciel se verse dans le paysageEn s’insérant entre les collinesQui sans lui seraient bizarresCollées directement sur le videOù la pensée ne serait penséeEt les pas lents ne serait pas lentsEt les amours ne seraient pas drôlesEt les personnes ne seraient ni seulesNi séparées ni ensemblesBref ce serait une tout … Continue reading ***

L’alphabète du rêve

L’alphabète du rêveÉcrit sur les murs jaunesPar le rayon lunaireQui tire de ta me-moire des objetsEt des personnes tordusEt surdimensionnésCar le mur est obliqueEt le rayon est longLes lettres étrangesQui disent tout et rienDans un langage du mondeQui devient réelÀ mesure qu’on s’endortLes ombres hiéroglyphiquesPar la Lune étiréesLes mots qu’on ne sait lireMais arrive à rimer Continue reading L’alphabète du rêve