Quand je regarde le ciel, l’espace, tout ce que je vois — les étoiles, les planètes, même les satellites et les avions — tout ça n’est que l’information obsolète. Comme les appels manqués ou les notifications non lues, ils sont les petits morceaux d’inutilité — chacun à sa mesure, bien sûr — mais ils ne sont pas les images des objets réels. Ce qu’ils sont est la lumière que mes yeux perçoivent, la lumière provenant d’un corps céleste qui est déjà très loin de cet endroit où je le vois, la lumière d’une étoile qui avait peut-être déjà disparu ou, au contraire, est maintenant en train de préparer sa dernière performance en tant que supernova.
Mais non, je le sais — il ne faut pas le dire comme ça, je suis tout à fait conscient que le « maintenant » universel — cela n’existe pas. Tous les maintenants sont particulières aux leurs endroits. Tous les temps s’écoulent de leur propre façon, dans leurs propres cônes de lumière. Je le sais. Et pourtant, quand je tourne mes yeux de nouveau au ciel nocturne, vers le vide, la noirceur, l’univers, vers le rien qui est entre les grains de poussière et molécules de gaz, les satellites et les avions, je perçois quelque chose à tout instant.
Quelque chose qui me dit : voilà l’espace, il y a de la matière là-dedans. Tu ne le vois peut-être pas, parce que voir — c’est le truc qui ne fonctionne pas immédiatement à cause de la vitesse de la lumière et toutes ces choses relativistes, mais tu le sais ! Tu sais qu’il y a de la matière dans cette noirceur, qu’il y a de planètes, il y a des étoiles, il y a de satellites et des avions, il y a de la chimie et de la biologie, il y a de la vie, des civilisations, de pays, des cités brillantes, des trains qui se bougent lentement, il y a des vieilles radios et des chansons, des gens qui s’ennuient et des gens qui attendent patiemment, il y a des mecs qui regardent le ciel et se posent exactement la même question que tu te poses sur ton balcon, dans ton système de coordonnées, dans ton coin de béton, peu illuminé, penchant dans le néant. Tu sais tout ça, n’est-ce pas ? Et tu n’as pas vraiment besoin de la lumière pour le savoir. Tu le sais parce que—
Et c’est là où ma logique me laisse. Parce que— ? Comment dois-je appeler cette certitude que je ne suis pas seul qui existe, le sentiment immédiat, perçu pas par les yeux, pas par les oreilles et pas par les narines, mais directement par la conscience. Comment appeler l’espoir de rencontrer les objets dans le vide, même quand on ne les a pas encore vues et, dans la plupart des cas, ne verra peut-être jamais ? Le savoir d’existence qui est instantané, mais pas traduisible dans le langage habitué des sens ? Est-ce que je dois prendre l’air de panpsychisme et prononcer, tout en prenant le ton dramatique, la seule réponse que j’ai et qui paraît s’imposer d’elle-même : « C’est la conscience » — ou est-ce je dois plutôt avouer que j’ai encore devoirs à faire en ce qui concerne la théorie de relativité ?