Moi

Moi dont les jambes étiques et tordues
Avec tous leurs mouvements et les modèles de jean
Toute leur hésitation et leurs pas décisifs
Y compris ceux-ci que je n’ai pas encore faits
Sont sorites d’imbroglio du grand kaboom
Au moment où le temps n’était qu’un prétexte
Inventé pour sortir la matière de son trou
Où elle se sentait si bien et non-existant
Au moment où il n’y avait encore pas de moments
Et le son de la télé suintant du salon
Et le bourdonnement du frigo bien rempli
Ainsi que les Lumières et la Guerre de Cent Ans
N’étaient que les erreurs répétées de mesure
D’un angle aigu entre l’être et le non-être
Qui semblaient se croiser dans un point lumineux
Aussi mauvaise idée que cela puisse paraitre
Surtout parce qu’à la fin ça cause
Vacarme
Explosions
Lumière éblouissante
Changement de mètre

Moi qui fourre
Précipitamment sa clé dans la petite serrure
De son appartement encore plus petit
Où l’attend une table presque microscopique
Sur laquelle
Vraiment à peine visible déjà montrant côté relativiste
L’ordinateur
Si j’ose dire
Une fenêtre dans l’univers d’autrui
Des autres gens qui eux aussi sont tous sortis de la bavure primaire
Faisaient études à l’école primaire
Puis secondaire
Ont obtenu leurs petits diplômes
Du 2e cycle
Si petits que presque négligeables
Qui pourtant ajoutent pas mal de points dans certains systèmes d’évaluation des candidats à l’immigration
Où ils sont tous rangés triés et séparés comme les mauvais esclaves disposés à mourir des bons esclaves qui vont encore servir
Et d’où les tire une main invisible
Cette fois pour de vrai, purement métaphorique
Car sur cette échelle la taille ne s’applique plus

Ils sont alors tirés lavés un peu raccommodés si besoin
Dotés de nouvelles vies
De nouveaux noms
De nouveaux amis
De nouveaux voisins
D’adresses de pièces d’identité
Sont invités à présenter une expression d’intérêt pour vivre
Et une expression de peur de mourir
Ensuite déposées au ministère d’immigration, de réfugiés et de la citoyenneté
Avec une main (visiblement) tremblante
Le cœur (sensiblement) battant
Les lèvres (comme le sol du Sahara) gercées
Le sentiment d’une légère ivresse qui se manifeste
Quand on vise avec le pointeur de son souris quasi quantique dont on ne sait jamais pour sûr la position
Et qu’on peut seulement deviner
Le site
L’année
Le jour de la semaine
Le copyright
Navigateur système d’exploitation âgé sexe religion
Le pointeur qui saute des vidéos porno aux sites d’ambassades
De l’épisode de « Friends » au fils de discussion sur les forums qui presque tous commencent avec « Comment » et « Quand »
Avec cette flèche étalée dans l’espace-temps et dans l’espoir-regret
On tente, sans jamais le voir directement et seulement se guidant à ses effets sur la lumière
D’atteindre le bouton
Plat, simple, sans trop de décor à part d’un effet d’ombre et des coins arrondis
Perché sur une vaste plaine blanche s’étendant des terres gelées jusqu’à la côte pacifique où les vagues suaves caressent les pieds engourdis
Et où les écureuils dans les parcs n’ont aucune peur des hommes
Un bouton qui envoie une requête au serveur qui passe les paramètres
Au composant du haut niveau qui ne sait rien de l’origine de ladite requête, qui a pour but seulement de recevoir les données et ensuite les verser à backend
C’est ça de la bonne composition on dit dans le milieu du numérique
C’est ça le code performant et propre
C’est bien comme ça qu’on construit notre futur mon pote
Bref le bouton
Qui fait de n’importe quoi si l’on omet tous les détails techniques
Mais au moment où l’on l’observe
Qui s’effondre
Allume son fond et dit :
« Changer d’univers »