La monotonie

Les vagues du temps qui me lancent
Vers la muraille lisse des jours
Qui m’éclaboussent quand j’avance
Et qui m’attrapent quand je chute

Les eaux gluantes des nuits amères
Où bercent les algues du sommeil
Les innombrables faibles chimères
Nées d’amalgames de moi-même

La balbutie des jours qui passent
Le clapotement des heures qui coulent
Le long des rues qui, elles, s’évasent
Devant les yeux d’un somnambule

La sérénade incessante
Que siffle en boucle le ciel moisi
En pourléchant les fenêtres luisantes
Avec sa langue cramoisie

Monotonie tu as mon âme
Tu as mon cœur et mes poumons
Tu fixes sur moi tes yeux macabres
Cataractés d’appartements

Tu as mon suc et mon sang
Tu as mes sons et mes couleurs
Et tu m’appelles comme un muezzin
À la prière toutes les heures

Je penche comme un adolescent
Vers son mauvais premier baiser
En approchant mes lèvres tremblantes
À ton visage aux traits blasés

Puis, en sentant ta langue molle
Entrer dans ma bouche desséchée
Et ton souffle tuer dans mes alvéoles
Les sanglots pas encore lâchés

Je n’en peux plus ; je régurgite
Je tombe par terre et je dégueule
Les ondes de choc me déchirent
Ma gorge jongle avec mon cœur

La chaîne des jours des habitudes
Le restant des semaines pourries
Jaillissent de mon corps battu
Comme une flaque de dégueulis

Je crache je tousse je geins je pleure
Je m’accroupis je m’agenouille
Le jour regarde le jour demeure
En me tâtant pour prendre le pouls

Puis, en courbant ma nuque dolente
Dans une dernière convulsion
J’essuie ma bouche en me levant
Et je commence l’ascension

Le mur droit d’une roche humide
Qui disparait dans les nuages
S’avère une plage embrumée
Où mon navire s’échoua

Mes jambes flageolent quand je chemine
Sur la surface ferme et plate
Et là, au large des côtes du spleen
Mon âme enfin me rejoint