Le fait que l’univers s’étend plus vite que la lumière des galaxies lointaines, qui pourraient abriter la vie intelligente, que cette lumière ne peut parvenir jusqu’à nous — cela me donne un sentiment allant, en fonction de moment où cette pensée me frappe et de degré d’oisiveté de mon esprit à ce moment, d’un léger vertige à la stupeur complète.
Ça me fait penser de ces images — époustouflantes, incroyables, étourdissantes (il me faut, figurez-vous, les épithètes toujours plus puissantes à mesure que je zoome) — de nuages du gaz, de spirales brillantes qui nous semblent être figées, mais qui en réalité s’entremêlent dans de violentes collisions d’énormes quantités de matière et d’énergie ; de grands, incommensurables étendues du vide, du vide absolu, où il n’y a rien, rien que l’espace et le rien lui-même, le premier s’étendant avec le crépitement existentiel, le dernier ne faisant rien, ne se manifestant point, sachant, qu’à la fin, il sera gagnant quoi que ce soit. Et parmi ces féeries gigantesques et lointains, j’imagine les petits points lumineux, éclaboussés par les forces de nature sur les longues manches de noirceur et perdus dans les profondeurs du grand tableau — les îles de changement dans le milieu d’immobilité apparente.
Oui, je parle d’eux — des petites planètes rocheuses qui tournent — ou, dois-je dire, virent de façon folle et désespérée, si l’on compare avec la vue d’ensemble, autour de leurs étoiles, dans les zones habitables — c’est-à-dire, là, où il est ni trop chaud, ni trop froid, où l’eau est liquide, où les jours sont assez longs et le temps doux en été pour parcourir toutes les rues étroites d’une ville au bord de la mer, tinté avec un peu de rouge à cause d’une particularité de spectre de l’étoile ; là, où les nuits sont assez douces et agréables pour ne pas hésiter à continuer sa promenade le long d’une plage qui s’avère si plaisante, en s’éloignant petit à petit des parties touristiques et populaires, en s’avançant dans les territoires peu explorés. Les mondes bien équilibrés, avec les volcans éteints et les orages endormis, avec la terre rugueuse et les roches glissantes, eux aussi, luisant un peu de rouge, tout comme les eaux calmes de la mer et les bâtiments de l’ancienne ville qui est toujours visible sur l’horizon, entre les collines, vêtue d’une auréole de la lumière artificielle qui se propage dans le brouillard.
La lumière, dit-il, la lumière, dit-elle, les deux montrent leurs têtes et regardent vers le haut, droit dans les yeux de l’obscurité, là, où la lumière s’en va, où elle se précipite, essayant d’emmener avec soi tout ce qui lui est cher, tout ce qui pourrait théoriquement être intéressant, ou plutôt, représentant d’une civilisation si belle, si avancée, si pacifique et si impatiente de faire de nouvelles connaissances. Elle se dirige courageusement vers les cieux, sans savoir où et quoi chercher, elle perd la moitié de son bagage en passant par les nuages, elle perd presque tout en traversant les plus hautes couches de l’atmosphère, elle flotte, elle traîne, elle rampe, elle glisse, elle s’épuise, elle se divague, à peine échappant la bouche ouverte d’un trou noir et une autre de l’étoile à neutrons, elle se rend, elle s’arrête, elle murmure, j’en peux plus, je suis épuisée, je veux m’asseoir un peu, elle dit, peut-on peut-être retourner, y a-t-il encore du temps, y a-t-il encore de l’espace, y a-t-il quelqu’un derrière les remparts de la ville, une âme vivante dans la rayure évanouissante de l’horizon, là, où tout a un teint écarlate et où le temps est si beau et les rues si étroites, pourrions-nous encore joindre ces merveilleuses terres qui me paressent maintenant si lointaines, alors que j’ai l’impression d’avoir été là il y a justement quelques instants. Eh bien, soupire-t-elle, n’entendant pas la réponse, puis-je au moins prendre une photo, et elle se tourne vers l’horizon, face aux braises oranges du coucher de soleil qui scintillent toujours, en émettant lentement leur dernier quanta de chaleur dans l’espace par petites serpentes de nuages nocturnes. Elle jette : « J’arrive tout de suite ! », elle sort un petit appareil qu’on pourrait (difficilement) comparer à un téléphone portable de ce qu’on pourrait (prudemment) appeler un « sac-à-ce-qu’on-pourrait-théoriquement-identifier-comme-un-dos », elle bascule dans (ce qu’on croit être) le mode de nuit, puis elle appuie sur un bouton — un flash, un clic, un clac, encore un, et encore, pour être sûre — voilà, c’est fait, aussi simple que ça.
La lumière, se dit-elle. La lumière, me dis-je. Allez, l’appelle une silhouette sombre à peine visible dans la nuit d’un autre monde, il faut qu’on aille, viens, mon cœur. Je regarde la photo du télescope spatial qui a capté les énormes piliers du gaz entourés par les innombrables étoiles et superposés sur la grande toile du fond, elle, grouillant de la lumière qu’on appelle très poétiquement « fatiguée », qui vient d’autres étoiles, d’autres points lumineux, d’autres mondes et d’autres Terres lointaines, très lointaines, trop lointaines pour que leurs rayons puissent atteindre nos côtés, mais qui existent quand même. Ils sont là, et ils se présentent devant nos yeux comme une ombre d’un message qu’on a tenté de nous envoyer d’un beau lieu à la campagne où il n’y avait pas de bonne connexion et qui, malgré le fait de rester pour toujours dans le dossier « Outbox » avec une petite icône rouge indiquant le statut « Échec d’envoi », peut parfois surgir quelque part dans notre conscience et nous faire tressaillir soudainement, comme si en sentant une brève vague de chaleur, dépourvue de toute valeur informationnelle et faisant office d’un faible câlin anonyme par une soirée fraîche et sombre de mi-automne.