Ma vie est un morceau interminable de piano
Que jouent les doigts transparents et ductiles
De moi-même
D’autres personnes
Des circonstances des problèmes des solutions des songes
Des gens que j’aime de ceux que je hais
Des vérités que je vête des mensonges
De l’héritage duquel j’essaie de m’arracher
Ils bougent tous d’une manière ininterrompue
En s’éloignant
Se rapprochant
Se rencontrant
Touchant s’entremêlant
Puis après une hésitation bien calculée et correspondant parfaitement à la partition
Ils se séparent divaguent divorcent distendent
Se désengagent désabonnent débarquent mais demeurent
Parties de la même figure du pianiste
Qui ne cesse jamais de répéter les parties dures les passages complexes
Faire les mêmes erreurs recommencer dès la première mesure
À mesure
Que les touches se détachent de leur substrat
Et le piano se détache de la scène
Cinématographiquement
Se monte en l’air
Sort des frontières imaginaires de sa forme
Prolonge ses registres vers l’infini dans les deux directions
Forçant la main gauche à descendre jusqu’aux vibrations des trous noirs qui se fondent
Et la main droite atteindre le spectre optique
En saisissant (ou presque) la couleur des roses qui cernent la maison d’été
Où tourne en boucle le bonheur et retourne les crêpes la grand-mère
Les yeux verts et les cheveux brun foncé
L’image du printemps éblouissant qui transsude des vitres crasseuses de la classe
Se dissipant en particules au moindre essai de l’analyser
La partition s’étend
Infiniment
Elle se feuillette toute seule et comme si en suivant une loi
Pas encore découverte et pourtant si forte et réelle
Les portes claquent
Les lèvres se courbent en un sourire furtif
Les narines tressaillent
Les mains se touchent
Les moteurs démarrent
Les vents décoiffent la fragile figure au sol
Silence saute des eaux noires du vide faisant briller un bref instant son flanc
La vue s’allume
La vie recommence
Les doigts se mettent à jouer