Les nuages

Les nuages qui sortent du boulanger
Jaunes, chauds, mous, graisseux et glissants
Pour passer au-dessus des mâchoires des quartiers
Qui les rongeront, laissant tomber des miettes sur leurs façades

Les nuages frais, brunis, disposés sur la nappe de l’azur
Comme des pâtés sur le comptoir dans la cuisine
Où se mêlent en un incessant murmure
Le clapotement d’eau, la friture et la balbutie

Un jour d’été — je ne sais quel mois ni quelle année
La porte claque l’air chaud s’engouffre dans le salon
Le vert des feuilles le blanc des cheveux le rouge des peaux tannées
Suintent à travers les fentes d’une spacieuse maison

Les lames dans le couloir craquent quand on sort
Au grenier la chaleur instaure son règne
Le grondement du frigo cède la place au grincement des ressorts
D’un siège du vélo qui apporte les denrées

Les papiers peints, le thé au lait, le bruit de la radio AM
La main longue et osseuse qui porte lentement la tasse
Aux lèvres rugueuses cachées sous une barbe idem
Qui chatouillent ma joue quand elles, en hésitant, l’embrassent

La transparence ensemencée de grains de poussière
Roule d’une pièce à l’autre caressant les lourdes armoires
Charriant dans son cours les mots et les figures légères
De ceux qui pêchent dans les eaux de la mémoire

Les nuages brunis les feuilles luisantes le ciel sans fond
Les horizons tremblants qui émanent les effluves de terre
La plage où s’échoue ma voile vagabonde
Jetée de l’océan de régularité

Le royaume imprenable de mon enfance
Les vitres des vérandas éparpillées sur l’églantier
Dans mon austère et interminable errance
Je reste toujours ton prince héritier